Lorsque je vois défiler les publications et les nouvelles, j’ai l’impression que nous sommes rendus au bout du monde. Le bout du monde ! Avez-vous déjà utilisé cette expression ?
Moi oui, juste avant de m’envoler pour mon premier voyage, une croisière dans les Caraïbes. J’ai reçu ce merveilleux cadeau de la vie grâce à l’achat d’un billet pour encourager la Fondation du centre hospitalier régional de Rimouski. Mes enfants étaient jeunes à l’époque et le fait de partir sans eux me donnait l’impression de m’en aller au bout du monde.
Beaucoup plus tard, j’ai réalisé un autre voyage, cette fois-ci pour le Japon. C’était dans le cadre d’un passage de ceinture au karaté. Une grande expérience où j’ai vécu la sensation de me rendre au bout de moi-même tellement la longue préparation à cet événement m’avait transformée.
Et, il y a deux ans, je me rendais au Festival musique du bout du monde de Gaspé. Le summum de cette expérience se déroulait au lever du soleil au Cap-Bon -Ami. Nous étions nombreux pour entendre chanter Élisapie, et ce, même s’il pleuvait à boire debout. Avant de débuter son spectacle, elle nous a poliment demandé de s’assurer que chaque aîné bénéficiait d’une place assise. Je me suis dit à ce moment-là que ça valait vraiment la peine de se rendre au bout du monde pour réapprendre nos premières règles de civilité. On les oublie beaucoup trop souvent.
Derrière l’horizon, le vide ?
L’expression au bout du monde génère différentes représentations selon le point de vue où nous nous situons. Et actuellement, nous avons peut-être l’impression d’être au bout de notre monde avec les derniers événements. Comme si, derrière la ligne d’horizon, il n’y avait que le vide. Où tout cela nous mènera-t-il ?
Car pour certains le monde menace vraiment de s’écrouler. Leur quotidien, leur routine, leurs projets, tout ce qu’ils tenaient à cœur, est menacé. L’horizon n’est plus qu’un gouffre.
Pour d’autres, cette ligne d’horizon se situe un peu trop près de leur nombril. Oui, il se tient là aussi le bout du monde. L’ennui avec le nombrilisme, c’est qu’il peut réduire considérablement les possibilités de grandir et d’évoluer.
Dans certains dictionnaires, l’expression « au bout du monde » correspond à aller au bout d’un processus, achever un mécanisme, une évolution. J’aime bien cette définition. Elle me permet d’imaginer que ce qui nous arrive à l’heure actuelle pourrait avoir un sens, une direction. Un processus d’évolution ne s’invente pas, il se produit malgré nous, probablement lorsque le cycle naturel de la vie penche trop vers le déséquilibre.
Repartir à zéro
Face à ce processus que nous traversons, permettons-nous un instant d’imaginer autre chose que le vide. Pour nous inspirer, j’ai en tête cette belle chanson de Joe Bocan « Repartir à zéro ».
Imaginer la Terre comme un jardin d’Éden
Horizon sans frontières, russes ou américaines
Où personne ne s’amuse à jouer à la roulette
À qui sera le premier à faire sauter la planète
Revenir en arrière à des temps primitifs
Retrouver l’eau et l’air, est-ce un rêve naïf ?
Avant Adam et Ève, le serpent et la pomme
S’inventer un pays qui n’appartient à personne
Repartir à zéro
Prenons le temps de l’écouter ensemble, elle est reprise ici dans une version plus récente par Pilou :
Imaginer l’avenir autrement
Il ne tient qu’à nous d’imaginer autrement notre avenir. En ce moment, rien n’indique qu’un processus d’évolution est négatif. Se permettre de le regarder avec neutralité nous aide à réfléchir au sens de tout événement que nous traversons, quel qu’il soit. Cela nous évite aussi de verser dans des constats du genre : nous méritons ce qui nous arrive nous les méchants humains.
Notre grande histoire humaine est loin d’être reluisante et l’adversité la traverse d’un bout à l’autre. Il est vrai également qu’encore aujourd’hui dans le monde, mais aussi tout près de nous, des gens meurent de faim, de froid ou de maltraitance. Bien que ce soit inacceptable, il y a lieu de croire que malgré tout, nos consciences s’ouvrent petit à petit. Les grands principes de l’univers nous échappent encore, mais nous sommes toujours là et ne cessons de relever nos mêmes défis. Nous n’avons jamais abandonné la partie. En nous ancrant sur nos forces et en tenant compte de nos responsabilités, nous pouvons imaginer un bel avenir à notre transition.
Derrière le vide la puissance de créer
Et puisque la terre est ronde, aller au bout du monde, c’est aussi revenir vers soi. La pandémie nous place en situation de grande vulnérabilité. Dans ce contexte, il se peut que nous réagissions contrairement à nos habitudes et que nous en soyons surpris. L’isolement, l’anxiété, le surmenage sont devenus des réalités quotidiennes pour la plupart d’entre nous. Un temps difficile que nous pouvons mettre à profit pour en apprendre davantage sur soi. Apprenons à mieux nous observer et à mieux nous comprendre. Apprenons à accueillir l’expression de nos émotions, l’autocompassion peut nous guérir de bien des maux.
Dans certains mythes reliés aux origines, le vide correspond à ce qui n’a pas encore pris forme. Il contient donc une puissance et un potentiel de création. Nous en avons plusieurs exemples tout autour de nous. Regardons toute la réorganisation des soins dans les grands hôpitaux afin de maintenir en vie toutes ces personnes gravement atteintes de la Covid. Observons tous ces enseignants qui s’adaptent aux nouvelles règles afin que notre jeunesse continue à apprendre. Et tous ces travailleurs qui ont répondu à l’appel dans les CHSLD. Et n’oublions pas tous ces acteurs de la grande mobilisation à l’achat local. Regardons autour de nous tous les efforts et toute la créativité actuellement à l’œuvre pour traverser la vague.
Est-il possible qu’au bout du compte, face à ce vide qui nous étreint, nous redéfinissions qui nous sommes vraiment ?
Anne Pichette
Rédactrice et blogueuse magazine Pause-Vie