C’est en lisant une publication sur le suicide que ma boîte à souvenirs s’est soudainement activée. Ma mémoire me joue souvent des tours, mais elle collabore toujours à ma recherche de sens.
Je me suis d’abord souvenue de ce livre que j’avais déniché par hasard dans une station métro de Longueuil : Face au suicide — L’expérience suicidaire, perspective archétypale. Outre mon travail régulier, j’effectuais alors un demi-temps dans un centre de détention en tant qu’intervenante en soins spirituels. Je n’étais pas formée pour intervenir lors de crises suicidaires, mais comme le suicide est omniprésent chez les détenus, mon rôle se situait en aval, au niveau du sens et de la symbolique. Ce livre du Dr Daniel Bordeleau, psychanalyste, m’a permis de développer un nouveau regard sur ce sujet délicat et encore très tabou et de l’évoquer de façon différente.
L’état suicidaire, une confrontation existentielle
Selon le Dr Bordeleau, l’expérience suicidaire n’est pas la recherche de la mort, mais la recherche de plus de vie. Dans sa pratique, il a aidé plusieurs personnes qui avaient formé le projet de se suicider ou avaient survécu à leur tentative suicidaire. Ces personnes ont choisi de vivre après s’être profondément interrogées sur le sens de leur expérience. Par la suite, elles ont témoigné de leur transformation en se déclarant plus vivantes qu’avant.
En relisant ce livre, j’ai soudainement pensé à mon père. Un souvenir qui remonte au tout début de mon adolescence. Il était bien enfoui dans ma mémoire comme le sont les choses dont on ne parle pas. Elles font surgir un jour ou l’autre des images sans mots. Mon père avait tenté de se suicider après avoir fait une faillite et perdu son entreprise. À ce moment, si je ne trompe pas, la conjoncture économique avait causé la fermeture de plusieurs commerces.
Il s’en est sorti et la vie a continué pour lui d’une façon bien différente. Il ne parlait pas beaucoup, mais après ce douloureux passage il me semblait plus paisible qu’avant. Chose certaine, ses petits-enfants lui ont procuré par la suite beaucoup de bonheur. Il est décédé à 83 ans.
Facteurs favorisant le passage direct à l’acte
Toujours selon le Dr Bordeleau, les facteurs qui favorisent le passage direct à l’acte sont l’intoxication par l’alcool ou autre substance, l’état psychotique et certains états émotionnels intenses. La dépression peut aussi conduire à ces états. Mais il mentionne également qu’il faut se rappeler que la pensée suicidaire ne se termine pas nécessairement avec la mort même si elle doit être prise très au sérieux.
Signes précurseurs
S’ouvrir à l’autre, lui révéler une partie souffrante ou un vide que nous traversons n’est pas une chose simple pour personne. Nous avons tellement peu appris à communiquer notre détresse. Bien souvent, ce qui semble évident intérieurement ne transparait pas forcément extérieurement. Mais il semblerait que la personne ayant des pensées suicidaires envoie généralement certains signaux, ils peuvent être plus ou moins explicites. Ils sont très bien détaillés sur ce site d’aide de l’Outaouais.
Ces signes parfois difficiles à discerner dans le tourbillon quotidien causeront, après-coup, beaucoup de culpabilité aux proches si la personne passe à l’acte. Et comme une roue qui tourne, ce sera maintenant à eux de traverser le vide et la douleur pour arriver à créer du sens. Même si pour un temps cela semble inconcevable. Trouver un peu de sens à nos grandes épreuves ne referme pas la plaie, mais peut procurer un certain apaisement. Cela peut aider aussi à libérer le pardon ou la culpabilité.
Voie de transformation
Pour résumer très brièvement le contenu riche et dense du livre Face au suicide, je dirais que la pensée suicidaire accompagne la douloureuse traversée des états de l’âme, un cheminement intense, invisible et intime. La personne qui traverse ces états vit une véritable et profonde remise en question qui peut faire en sorte qu’elle se transforme pour en ressortir plus vivante qu’avant. Elle seule peut trouver les réponses à ses interrogations, mais elle aura besoin d’écoute et de compréhension pour s’en sortir.
Tous peuvent y contribuer, mais doivent d’abord diriger la personne vers une ressource afin d’évaluer l’urgence de sa situation. Par la suite, il sera important pour les aidants de respecter leurs propres limites et de référer au besoin.
Libérer la parole
Il y aurait encore beaucoup à dire sur le sujet tant il remue nos zones fragiles et secoue nos peurs les plus profondes. C’est pourquoi je pense qu’il nous faut l’apprivoiser. On peut le faire en tentant d’en discuter librement avec nos conjoints (es), nos familles et nos amis (es) sans oublier nos aîné(es). Nous pouvons nous demander mutuellement si nous avons déjà eu des pensées suicidaires et quelles sont nos zones vulnérables. Discuter ouvertement de nos fragilités avec des personnes de confiance nous apprend à mettre des mots sur nos états d’âme. Cela pourrait nous sauver la vie si, un jour, le désespoir se pointe à notre porte.
Le Québec compte de nombreux organismes d’aide en prévention du suicide, c’est un service essentiel dans notre société. Si vous vous sentez fragile et que la pensée suicidaire vous revient en boucle, appelez ou demandez à un proche d’appeler pour vous à ce numéro :
1-866-APPELLE (1-866-277-3553)
24 heures sur 24
7 jours sur 7
C’est un appel à l’aide clair qui sera entendu
Pour en savoir plus sur le sujet ou trouver un centre d’aide dans votre région :
- Association québécoise de prévention du suicide (AQPS)
- Centre de prévention du suicide et d’intervention de crise du Bas-Saint-Laurent
Anne Pichette
Rédactrice et éditrice magazine Pause-Vie